Si aux U.S.A., Weird Tales demeure la référence dans le domaine des revues de fantastique et de science-fiction note 1 , en France, cest Fiction qui a joué, de 1953 à 1989, un rôle similaire. Séquence souvenirs.
Créée en 1953 par Maurice Renault, Fiction simpose immédiatement comme LA revue francophone de létrange. Son but premier est daccueillir des traductions dauteurs anglo-saxons dans le domaine de la science-fiction, mais elle réserve bien vite une place de choix pour le fantastique à la fois américain et anglais mais aussi francophone avec une tribune réservée aux jeunes talents auxquels la revue offre une première publication.
Parmi ces derniers, nous pouvons citer André Ruellan qui publie
plusieurs nouvelles avant de connaître la consécration sous
le pseudonyme de Kurt Steinernote 2
. Alain Dorémieux, pour sa part, est au sommaire de
Fiction dès 1954 et en devient le rédacteur en chef
en 1956, poste quil occupe jusquen 1974note
3 . Sous sa direction, Fiction se développe
et atteint sa maturité que certains qualifient dAge dOr de la
revue. La part des nouvelles fantastiques saccroît bien que la science-fiction
garde la prépondérance.
En conclusion, lhéritage qua
légué Fiction, lors de sa disparition en 1989, est
immense et riche.
Premièrement, elle a permis de faire connaître
au lectorat français de la grands noms de la littérature
fantastique comme Lovecraft, Le Fanu, Poe, Merritt,
Deuxièmement, elle a popularisé ce genre
jusquici considéré comme un "mauvais genre", notamment en
publiant des auteurs de qualité.
Troisièmement, elle a bercé toute une génération
de futurs écrivains de fantastique français qui, à
sa lecture, a su "se nourrir" des textes publiés.
Quatrièmement, enfin, elle a donné une
maturité littéraire à de nombreux lecteurs. Grâce
à la qualité de la plupart des nouvelles, le public sest
familiarisé avec le fantastique vis-à-vis duquel il a adopté
une attitude critique et fait montre dun regard de connaisseur.
Que dire de laprès Fiction ? Aucune revue na pour linstant réussi à égaler à la fois son succès et son influence. La grande majorité dentre-elles sont des publications trimestrielles et non mensuelles. Doù la difficulté pour les auteurs, confirmés ou débutants, de trouver un débouché pour leurs productions. Certaines revues, pourtant, essayent de se référer à cet illustre modèle en accordant une part essentielle aux fictions et non aux articles ou reportages. Parmi elles, citons par exemple la jeune revue Ténèbres qui, dans le domaine du fantastique, propose, à chaque numéro, une grande sélection de nouvellesnote 4 .
Mais la question que sous-tend Fiction, presque 10 ans après
sa disparition, est de savoir si une revue de ce type, mensuelle et de
grande diffusion (à travers le réseau de distribution de
la presse), pourrait encore exister et survivre à lheure actuelle.
Pour ma part, je ne saurais que répondre par laffirmative, et cela
pour une unique raison : le public amateur de littérature de science-fiction
et fantastique na jamais été aussi nombreux, les collections
de poche dédiées à ce genre se vendent à des
milliers dexemplaires. Que manque-t-il alors ? Largent tout simplement.
La création dun tel projet nécessite un investissement financier
conséquent et, hélas, la seule volonté ne suffit pas.
La solution pourrait venir des grands groupes de presse comme Hachette
et tant dautres qui seuls seraient à même de concrétiser
une telle entreprise. Alors, messieurs les magnats, la balle est dans votre
campnote 5 .
Note 1 : Les meilleurs récits de cette revue mythique ont été publiés en France dans une série d'anthologies notamment aux éditions J'ai lu en 3 volumes.
Note 2 : Il est l'auteur de nombreux romans fantastiques au Fleuve Noir dans la collection "Angoisse".
Note 3 : Alain Dorémieux est aussi connu pour ses nombreuses anthologies et surtout pour ses recueils intitulés Territoires de l'Inquiétude parus aux éditions Denoël. Mais il est également l'auteur d'un excellent roman, Black Velvet, toujours aux éditions Denoël, collection "Présence du fantastique".
Note 4 :
Ténèbres / Lueurs Mortes, BP 49 - Hôtel de Ville, 54
110 DOMBASLE.
Abonnement un an (4 numéros) : 220 francs.
Note 5 : Fiction est devenue une revue de collection. Les numéros se vendent généralement entre 10 et 30 francs pièce, mais certains, parmi les plus anciens, peuvent atteindre des sommes importantes. Pour les Parisiens, je vous conseille les petits bouquinistes des bords de la Seine (certains disposent de véritables trésors à des prix modiques). Sinon, la bibliothèque du Centre Pompidou propose l'intégrale des Fiction en accès libre.